Sisyphéen

Même après que l’ingénierie génétique et les biotechnologies ont rendu le
monde et l’humanité méconnaissables, une journée de travail évoque encore et
toujours le supplice de Sisyphe. C’est l’idée de départ du romancier Dempow
Torishima pour Sisyphéen : « Regardant autour de moi, j’ai pu constater que
bien des gens souffraient énormément de leurs conditions de travail. Je me
suis dit qu’en utilisant les techniques de la SF et de la fantasy, je pourrais
mettre cette situation en évidence. Et j’ai voulu que le roman lui-même
fonctionne comme une installation artistique sur ce thème. » Les quatre
novellas qui constituent le texte forment en réalité un roman mosaïque.
Sisyphéen décrit quatre mondes d’une même civilisation spatiale reliés entre
eux par une menace commune, celle de mystérieuses nano-poussières. Chaque
univers est à la fois totalement étrange et familier. Les corps humains n’ont
plus rien en commun avec celui d’homo sapiens, mais ces êtres continuent de
travailler et d’étudier. Dans la première histoire, un technicien émerge
chaque jour de son lit-capsule pour travailler sur une plateforme cernée par
une mer de boue. Ce lieu de production à l’atmosphère oppressante est dirigé
par le Président, une créature d’une forme instable appelée jadis un « humain
». Conçu génétiquement pour être des esclaves, le technicien et ses collègues
endurent d’épouvantables conditions de travail pour fabriquer des os, des
organes et des tissus destinés à d’importants clients. Quand il commence à
questionner son identité et ses origines, tout dérape. De terribles garde-fous
organiques ont été prévus pour sécuriser le système. Dans une autre histoire,
une lune abrite une population qui a été recréée mais a subi des mutations.
Panneaux tracés à l’encre de moelle osseuse, sièges constitués d’os pelviens,
tableaux d’école réalisés en peau, la technologie est basée sur d’étranges
animaux récoltés comme des plantes. Un étudiant jusque-là respectueux des lois
commence à s’interroger. Pourquoi ses congénères et lui ont-ils été
ressuscités sous de nouvelles formes ? À quoi ressemblait son existence
précédente ? Que lui réserve la suivante ? Denpow Torishima est né à Osaka en
1970. Diplômé de l’école d’art d’Osaka, il a travaillé comme dessinateur et
illustrateur. Sa première œuvre publiée est la nouvelle indépendante Sisyphéen
(2011) pour laquelle Torishima a reçu le Prix Shogen. Il a ensuite poursuivi
ce travail pour écrire trois nouvelles supplémentaires se déroulant dans le
même univers. L’ouvrage Sisyphéen regroupant cette fois les quatre novellas a
été publié en 2013 au Japon et a été désigné comme le meilleur texte de SF de
l’année par SF Magazine. En 2014, Torishima a également reçu le Prix SF du
Japon et a été nominé pour le Prix Seiun. Voici comment il décrit son travail
: « Autant que possible, j’essaie de me mettre dans un état où ma perception
de la beauté et de la laideur, du bien et du mal, vire à l’ardoise vierge. À
partir de là, je me confine aux points de vue subjectifs et aux connaissances
des êtres qui vivent dans le monde que je décris. Dans les romans
contemporains, on ne trouve pas d’explications concernant les réfrigérateurs
par exemple ; de fait, je m’astreins à décrire chaque chose comme allant de
soi. L’idéal pour moi est d’écrire un texte qui soit comme la traduction d’un
roman provenant d’un autre monde ». Torishima a également dessiné toutes les
illustrations inclues dans Sisyphéen, lesquelles ont été de précieux outils
pour sa créativité : « Au début, j’ai fait énormément de croquis et laissé les
images s’amplifier dans mon esprit, puis, après avoir créé un grand nombre
d’illustrations, je me suis mis à écrire. »