Les Fils

Trois récits majeurs de Kafka – “La Métamorphose”, “Le Verdict” et “Le Mécano”
– réunis en un volume : ce projet fut soumis par Kafka lui-même à son éditeur
dès 1913. Pourtant, la publication ne sera effective qu’en 1989, tandis qu’il
paraît ici dans une première traduction française. Il s’agissait pourtant d’un
fait exceptionnel, compte tenu de la réticence farouche de Kafka à publier. Le
11 avril 1913, Kafka écrit à son éditeur Kurt Wolff : “Il existe entre ces
trois textes un lien manifeste, et même au-delà, un lien secret” ; “Je
n’attache pas moins d’importance à l’unité de ces trois histoires qu’à l’unité
de chacune d’entre elles”. Ces trois récits ont été écrits dans un intervalle
de dix semaines, de septembre à décembre 1912. Alors que Kafka confiait écrire
avec difficulté, considérant rarement ses écrits comme achevés, ces trois
textes surgissent avec beaucoup de sûreté, intensément. Accueillis avec
enthousiasme, ils marquèrent une rupture au terme de laquelle Kafka se déclara
“écrivain”, véritable transformation existentielle et artistique. En cela, ils
représentent un ensemble absolument fondateur. On y retrouve également les
thématiques centrales de l’œuvre ultérieure : condamnation à mort ou
bannissement des fils par les pères, existence humaine prise dans un procès
permanent, mort comme libération ou rédemption, thématique du mal… Surtout,
ces textes portent en eux l’influence profonde de la mystique juive :
l’enseignement de la Kabbale, notamment sous ses formes popularisées par le
théâtre yiddish et les histoires hassidiques qui fascinent Kafka à cette
période. Cette découverte de l’univers mystique de la Kabbale coïncide avec
une libération créative qui le fait naître en tant qu’écrivain. Gershom
Scholem, le grand spécialiste de la Kabbale, affirme que “l’œuvre de Kafka
semble sortir tout droit d’une cabale hérétique” et qu’il était l’auteur
“d’une présentation laïque du rapport du monde kabbalistique dans un esprit
moderne”. Cette clarification des sources premières d’inspiration de
l’écrivain permet de retrouver une unité qui, précisément, fait souvent défaut
aux traductions existantes. La cohérence fondamentale des thèmes et images
propres à cet univers, mais aussi du style lui-même, exigeait une traduction
d’une seule plume. Envisagé comme un tout fondateur de l’œuvre à venir,
secrètement pénétré par la mythologie kabbalistique, Les Fils permet de
renouer avec la démarche originelle de Kafka et d’ouvrir de nouvelles pistes
d’interprétation de cette œuvre plus que jamais fascinante et inépuisable…
Franz Kafka (1883-1924) est un écrivain tchèque de langue allemande. Né à
Prague, alors sous domination austro-hongroise, dans une famille juive
germanisée, il grandit au carrefour de ces multiples héritages culturels. Il
s’intéressera aux textes hassidiques, à la littérature yiddish et à la langue
hébraïque. Initié aux idées anarchistes, il fréquente les milieux de l’avant-
garde tchèque. Après des études de droit, il travaille à partir de 1908 dans
des compagnies d’assurance. De santé fragile, en conflit avec son père, il
mène une vie solitaire d’employé résigné le jour, et se dévoue à l’écriture le
reste du temps. Son existence nourrit un univers irréel, angoissant et
absurde, marqué par la culpabilité, la perte d’identité et la lutte désespérée
contre les puissances supérieures… “kafkaïen” ! Condamné par la tuberculose
dès 1917, il écrit dans un sentiment d'urgence, laissant derrière lui une
œuvre inachevée et labyrinthique : romans (“Le Procès”, “Le Château”),
nouvelles (“La Métamorphose”, “La Colonie pénitentiaire”) ainsi qu’un journal
(rédigé de 1910 à 1920) et une abondante correspondance. Une partie de ses
écrits est publiée contre sa volonté, après sa mort, par son ami Max Brod.